Peu de gens connaissent Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, l’inénarrable Bruno Le Maire. Cela est normal, puisqu’elle n’est qu’un des interchangeables boulons au sein d’une équipe gouvernementale qui se ne se distingue que par l’égale faiblesse de ses composantes.
Pour autant, ses propos sont intéressants à relever à plus d’un titre :
D’abord, parce qu’il est inutile de perdre son temps à lire sa biographie (pantouflage, revenus astronomiques, etc.) pour comprendre le sens de ses propos, étant donné qu’elle n’a pas de pensée qui lui est propre, que ses mots ne lui appartiennent pas. Lire ou écouter Pannier-Runacher vous épargne ainsi de lire ou écouter tous les autres ; davantage même, c’est comme accéder à la fois à leur « Ça » et à leur « Moi » (pour le « Surmoi », la difficulté, c’est précisément qu’il est absent…). Les propos de Pannier-Runacher expriment de la sorte la quintessence de la macronie et, au-delà, de l’idéologie dominante ; celle qui étend sans fin le mal qui nous ronge, épuisant le monde qui « peut aimer et souffrir » pour en créer un nouveau, glaçant, inhumain.
Mais quel est donc ce nouveau monde ?
C’est celui de l’accumulation du capital, mais plus largement, de toute chose, ou plus exactement de toutes les choses, en particulier les plus inutiles ; c’est celui de l’économisme et de l’anthropologie managériale triomphants, où chaque homme est ramené à une fonction, une utilité, et où la réalité est réduite à une modélisation expurgée des « contingences » et résistances matérielles, permettant ainsi l’effacement de la réalité au profit du virtuel et des simulacres ; c’est celui de l’épuisement de toutes les ressources aux fins de faire tourner la machine – les ressources humaines, telles que le désir et la libido, ou encore l’intelligence elle-même, dissout dans la sollicitation de l’attention permanente, la consommation de l’insignifiance ; mais aussi et bien évidemment les ressources naturelles, celle d’un environnement sans cesse plus pollué et défiguré – processus à l’origine même des nouvelles pandémies telle que celle que nous connaissons actuellement ; au point que Philippe Sansonetti n’hésite pas à parler, lors d’une récente conférence au Collège de France, d’une maladie de l’anthropocène pour la qualifier (disponible sur le site de la Vie des idées, 19 mars).
Mais plus prosaïquement, c’est celui où les krachs boursiers sont l’occasion « de faire des bonnes affaires en bourse » (10 mars) – les gilets jaunes apprécieront le conseil ; c’est celui où on aide les « winners » et où on laisse crever les autres – « L’enjeu est de soutenir les entreprises qui fonctionnaient avant » (9 avril), indépendamment de l’utilité sociale de ce qui est produit cela va sans dire ; c’est celui où les victimes de l’incompétence du gouvernement, déjà confinées dans leurs cubes du fait de l’absence de masques et de tests, devront en plus renoncer à leurs congés et payer pour leur enfermement – « il faudra probablement travailler plus que nous ne l’avons fait avant » pour « rattraper », « l’enjeu est de reprendre le travail plein pot » (10 avril) ; mais c’est aussi celui de la suspicion, de la menace et de la répression : mise en garde des entreprises contre la fraude au chômage partiel (11 avril) – et tout ceci au pays de la « confiance », évidemment.
Le monde de Pannier-Runacher est celui de la crise comme moyen et comme fin ; un monde qui repose sur un processus de destruction justifiant sans cesse des mesures de destruction nouvelles, sapant toujours davantage les fondations de notre civilisation ; un monde qui nous laisse sans défense naturelle face à un virus qui repend la vénalité, la concurrence féroce et l’oppression sous toutes ses formes : son nom est barbarie.
JBSM et Norrin R.