Dans un rapport publié par la Dutche Bank Reserch et intitulé « What we must do to rébuild », des économistes proposent de taxer les télétravailleurs (voir : https://www.zdnet.fr/actualites/des-economistes-proposent-une-taxe-teletravail-39912841.htm)
Les experts estiment que les salariés qui économisent leurs trajets domicile-bureau ou leurs pauses déjeuner, devraient payer des taxes supplémentaires. “Nous soutenons que les travailleurs à distance devraient payer un impôt pour ce privilège“, écrivent-ils, soulignant que le télétravail sera la “nouvelle normalité bien après la fin de la pandémie” et qu’il faudra donc adapter la fiscalité.
Le travail à distance serait donc un privilège…
Avant tout de chose, il est bon de rappeler que dans le contexte actuel, ce télétravail est majoritairement demandé par les employeurs, et subi par les travailleurs qui, même lorsqu’ils peuvent être séduits par cette solution, sont rarement favorables à l’option all inclusive, qui leur est administrée (conjoint, enfant, animaux compris).
Mais soit. On fait suffisamment comprendre à ceux qui ont un job qu’il serait mesquin de se plaindre. Je ne me plaindrais donc pas que le télétravail ait dilué ainsi mon temps de travail et ma vie personnelle que j’en vienne à confondre les deux, qu’il ait ainsi transformé mon temps de transport en temps de travail supplémentaire, qu’il m’ait privé des relations humaines en face à face (j’y reviendrai), qu’il ait induit une suspicion constante de la part de mon employeur qui imagine que télétravail signifie travail devant la télé, que mon salon soit devenu la propriété de mon employeur, de même que mon ordinateur personnel, mon imprimante, mes fournitures de bureau… C’est simple, j’ai tellement de chance que je lui paye même la facture d’électricité. Ah, si j’avais été un honnête homme, j’aurais sans nul doute dû aussi proposer à mon employeur de déduire de mon salaire le coût de l’électricité économisée en coupant le chauffage à mon domicile alors que j’étais généreusement hébergé dans son bureau…
Arguments : « Le télétravail offre des économies financières directes sur des dépenses comme le transport, le déjeuner, les vêtements et le nettoyage. Ajoutez à cela les économies indirectes via le renoncement aux dépenses sociales et autres qui auraient été engagées si un travailleur avait été au bureau »
Admettons que je travaille en présentiel ; dois-je être taxé si j’achète un sandwich ou si je ramène une gamelle plutôt que de déjeuner dans un restaurant, puisque là aussi je fais des économies ? Et si je garde un vieux téléphone portable tout pourri plutôt que d’acheter régulièrement le dernier smartphone tendance, dois-je encore être taxé ?
A défaut de taxer davantage le travail, les dépenses, voici qu’on invente la taxe sur les non-dépenses. Il fallait l’inventer ! Ils l’ont fait. Preuve en est, en vérité, que le capitalisme actuel est terriblement fragile, puisque chaque euro non remis dans le système semble menacer le système d’effondrement. Une manière de mettre en exergue la pensée profonde de l’économiste orthodoxe : heureusement qu’il y a des foyers endettés pour compenser le manque de civisme de ceux qui par leur égoïsme refusent de faire circuler la monnaie !
« Ces recettes fiscales pourraient ensuite être redistribuées aux travailleurs à faibles revenus qui, eux, ne peuvent pas travailler à distance. “D’un point de vue personnel et économique, il est logique que ces personnes reçoivent un coup de main. Il est également logique de reconnaître les travailleurs essentiels qui assument le risque Covidien pour de faibles salaires. Ceux qui ont la chance d’être en mesure de se ‘déconnecter’ de l’économie en face-à-face le leur doivent“, estiment les économistes dans leur rapport.
Ces recettes fiscales pourraient ensuite être redistribuées aux travailleurs à faibles revenus.
Les travailleurs à faibles revenus apprécieront l’emploi du conditionnel… Ils apprécieront aussi la manière dont ils sont instrumentalisés pour construire un argumentaire de la compassion et de la culpabilisation. Et dans un élan de solidarité, je propose d’aller encore plus loin, en suivant la logique des économistes ayant publié ce rapport. Car contrairement à ce que laissent penser nos “experts”, tous les télétravailleurs n’ont pas de hauts revenus, et de nombreux travailleurs ayant de faibles revenus peuvent aussi télétravailler. Si donc le fait d’être en télétravail est un privilège en soit, pourquoi ne pas taxer alors les télétravailleurs ayant de faibles revenus et redistribuer les richesse collectées vers les travailleurs ayant de meilleurs revenus, mais qui n’ont pas la chance d’être en télétravail ? Ceci dans un souci d’équité…
Une chance de se déconnecter de l’économie en face à face… ?!
Ceux qui se posaient la question de savoir comment une telle ignominie avait pu être écrite ont donc leur réponse : il faut en effet n’avoir aucune considération pour l’autre et ne faire aucun cas des relations humaines pour avoir une telle idée… Puisque ces experts se disent économistes, ils auraient pourtant dû savoir que le fait de retrouver ses collègues est pour la majorité des travailleurs un des rares plaisirs qu’on trouve lorsque le travail lui-même a été dépouillé de son sens, généralement par d’autres économistes et managers ; cela s’appelle des externalités positives. A ceux qui se demandaient pourquoi les économistes avaient autant de mal à quantifier ces dernières, il faut croire -à lire ce rapport- que c’est tout simplement parce que leur vie sociale est tellement misérable que leur cerveau n’arrive tout simplement pas à en formaliser les contours.
« Imaginez-vous un beau matin où vous vous apercevez que les rhinocéros ont pris le pouvoir. Ils ont une morale de rhinocéros, une philosophie de rhinocéros, un univers rhinocérique. Le nouveau maître de la ville est un rhinocéros qui emploie les mêmes mots et cependant ce n’est pas la même langue. Les mots ont pour lui un autre sens. Comment s’entendre ? » (Ionesco, 1959).
A cette dernière question posée par Ionesco, je réponds que cela est impossible. Sauf à accepter soi-même d’être un rhinocéros.
JMBS
1 comment
Je trouve qu’ils sont gonflés, on peut très bien faire circuler l’argent à côté de chez nous au lieu de le faire à côté de bureaux de l’employeur.
L’argent qui n’aura pas été dépensé en transports pour aller au lieu de travail pourra très bien être dépensé en transports pour aller à un parc d’attraction pour du perso, cet argent n’aurait peut-être pas été disponible pour cela en temps normal, et j’en passe.
Peut-être qu’ils ont spécifiquement peur pour leurs investissements dans certains quartiers remplis de bureaux, car l’argent ira dans les poches de commerces tenus par des acteurs de proximité à la place.