Renaud Garcia, La collapsologie, ou l’écologie mutilée, L’échappée, 2020.
Chacun des livres de Renaud Garcia est pour moi un petit évènement, et ce dernier ouvrage ne déroge pas à la règle. Comme souvent, notre philosophe prend à contrepied ceux que nous aurions par trop d’empressement eu tendance à ranger à ses côtés, soulignant alors le caractère contreproductif de leur engagement, quand ce n’est leur accointance (idéo)logique avec ceux qu’ils entendent pourtant dénoncer.
Dans Le désert de la critique, nos amis anarcho-progressistes avaient au moins pour eux le mérite de l’honnêteté intellectuelle, même s’ils se fourvoyaient, selon l’auteur, dans des considérations intellectuelles totalement stériles et oublieuses des rapports de classe, les éloignant ainsi du peuple et des causes réelles de l’oppression ; de sorte qu’ils devenaient pour le moins totalement inoffensifs pour un système qui les retournaient aisément à son profit. Le constat que fait Renaud Garcia à l’endroit des collapsologues en vue est encore plus sévère, et tout aussi convainquant.
Il convient toutefois d’en distinguer les chapelles. Une Greta Thunberg n’est pas un Yves Cochet, qui lui même n’est ni un Pablo Servigne, ni un Bruno Latour, et sans doute pas encore une Starhawk – activiste américaine “écoféministe” à laquelle l’auteur consacre plusieurs pages, tant il est important de souligner la proximité entre certaines pensées collapsologiques et l’idéal New Age étrangement mercantile dont cette Starhawk est l’une des représentantes…
Pour le petit pantin suédois au service de quelques start up et ONG (merci Al Gore!), la cause était entendue, et le livre de Renaud Garcia remet les points sur les “i”, si besoin était. Qu’est-ce que l’écologie peut espérer d’une enfant qui défend aussi bien les intérêts du capital et qui, au surplus, nous explique que nous devons aveuglement faire confiance aux scientifiques ? Comme le résume Renaud Garcia, “le spectacle” a condensé en G. Thunberg “la triple alliance de la science moderne, du capital et de la bureaucratie” – structure tripartite “au fondement des maux de la civilisation industrielle” (p. 44).
Il est d’ailleurs étonnant de voir à quel point les collapsologues font abstraction des effets du numérique et de son industrie sur la situation d’effondrement qu’ils dénoncent. Selon moi, c’en est pourtant la cause principale, tant l’industrie numérique ne se contente pas de détruire l’environnement, mais l’Être lui-même, et son rapport à l’environnement et à autrui.
Mais d’ailleurs, la dénoncent-t-ils vraiment cette situation d’effondrement ? Et quelles solutions proposent-ils pour s’en sortir ?
C’est là que se situe l’essentiel de la critique que leur adresse R. Garcia, et qui justifie le sous-titre de l’ouvrage : l’écologie mutilée. Nous ne trouvons guère de solution, de remède, de réponse politique dans les écrits des collapsologues. Ces derniers semblent se résigner à attendre de toucher le fond rebondir et bâtir un monde qui serait alors yeux forcément meilleur… grâce aux nouvelles technologies, aux énergies nouvelles, et tutti quanti ! Bref, les collapsologues à la mode rêvent du même monde, mais en plus propre. Le même monde, mais plus inhumain. C’est en ce sens que la collapsologie peut apparaitre pour l’heure présente comme la “caution intellectuelle et morale des mutations à venir du système industriel” (p. 142). Peut-être est-ce là la raison de leur succès ?
En attendant barricadez-vous et faites des provisions, comme Y. Cochet ! Les jours heureux viendront bientôt pour les plus forts et les “meilleurs” d’entre-nous. L’entraide et la solidarité laissent alors parfois la place à un survivalisme de compétition, bien ancré dans notre société concurrentielle néo-libérale. Autrement dit, on peut commencer par être bon lecteur de Kropotkine et finir darwinien.
La collapsologie, une nouvelle loi de la jungle ?
JMBS