Fabrice Lebrun, On achève bien les enfants. Écrans et barbarie numérique, Le bord de l’eau, 2020.
Les écrans “détruisent” l’enfance, en tant qu’âge de la vie caractérisé par la curiosité, la spontanéité, la création, mais aussi l’enfant, en tant qu’être humain et corps biologique. Telle est la thèse radicale de Fabien Lebrun, qui entend ainsi apporter un éclairage sur la nature du capitalisme actuel, dont les écrans constituent le moteur indispensable.
L’ouvrage est divisé en quatre parties, présentant chacune l’un des “moyens” de cette destruction (j’utilise le terme de moyen pour mettre en exergue l’idée de l’auteur selon laquelle, chacun des acteurs qui exploite le corps et l’esprit de l’enfant a globalement parfaitement conscience des effets de ses actes). La critique porte d’abord sur les écrans en tant que contenant, puis sur le contenu des écrans, la responsabilité de l’industrie numérique, et enfin sur leur production même.
Cette dernière partie est sans doute la plus originale. Elle boucle la boucle en quelque sorte, en exposant comment la destruction de nos enfants occidentaux par la consommation d’écrans n’est rendue possible que par l’exploitation et la destruction des enfants “des périphéries du capitalisme”, à chacune des étapes de leur production.
C’est d’abord au Congo, et dans quelques autres pays africains, que les enfants meurent dans l’extraction de certains minerais indispensables à la production des écrans et de toute la panoplie des outils numériques, mais aussi du fait des conflits générés par l’appropriation de cette richesse. Puis c’est en Asie, pour l’essentiel, que les grands acteurs du numérique exploitent sans vergogne les enfants sur des chaînes de montages dans des conditions de travail inhumaines.
Les écrans et autres outils numériques arrivent alors dans les pays riches où ils viendront poursuivre leur parcours mortifère, abrutissant nos enfants. Ils retourneront ensuite en Afrique, dans les dépotoirs constitués des milliards d’écrans consommés et obsolètes, où d’autres enfants travaillent à récupérer des matériaux toxiques qui détruisent leur santé.
L’auteur résume ainsi les effets des écrans sur les enfants : “pandémies de myopie, d’obésité, d’isolement social, d’addictions, d’insensibilisation, de violences et de cultures extrêmes, de cyberprostitution et de porno, de troubles du comportement et du sommeil, de minerais de sang d’enfants et de déchets électroniques mortifères” (p. 165). Il faut ajouter à la liste le premier des effets dénoncés dans son ouvrage : le déclin de l’intellect des enfants, dont rend notamment compte la baisse du niveau scolaire.
Nous aurions aimé que l’auteur prenne le temps de discuter certaines analyses plus nuancées, de confronter ses idées aux travaux tentant de démontrer certains effets positifs de cette exposition aux écrans. Cela aurait donné plus de poids à la thèse défendue, car l’exposé des seules données et travaux critiques ne vaut pas démonstration. Je rejoins néanmoins l’essentiel des analyses de l’auteur, confirmées par les nombreux éducateurs avec lesquels j’ai eu l’occasion de m’entretenir, et par la majorité des travaux produits qui m’ont été donnés de lire.
Je partage en outre la conclusion de l’auteur selon laquelle la covid-19 a fonctionné comme un terrible accélérateur de l’emprise d’un techno-capitalisme qui, par le moyen des écrans et leur connectivité, consomme et consume toujours davantage nos vies, nous déconnectant des autres et de nous même.
L’ouvrage de Fabien Lebrun propose ainsi une synthèse utile de tout ce que le numérique peut créer de pire à l’égard des plus jeunes.
Norrin. R., février 2021