Laurence Hansen-Løve, Simplement humains. Mieux vaut préserver l’humanité que l’améliorer, Éditions de l’Aube, 2019.

L’opuscule de la philosophe Laurence Hansen-Løve s’attaque à l’une des questions les plus essentielles parmi celles qui nous ont conduit à créer la Vie en cube : comment conserver notre humanité dans un monde rendu de plus en plus artificiel et auquel nous sommes sans relâche sommés de nous adapter sous peine, nous dit-on, d’obsolescence ?
Ce qui est particulier dans l’approche de l’auteur, c’est qu’une grande partie de son raisonnement s’articule autour du concept de liberté et des débats relatifs à notre capacité, ou non, à agir en fonction d’un libre-arbitre. Sur ce plan, l’auteur est plutôt convaincante, démontrant qu’en l’espèce la liberté ne se réduit pas au second, et que l’Homme est consubstantiel de l’idée même de liberté. De la sorte, et malgré le relativisme dominant, il lui reste toujours la possibilité de s’abstenir ou de refuser lorsqu’il doit faire face à la tentation de l’inhumanité, laquelle prend souvent la forme d’une main tendue par les sciences et technologies… lesquelles s’évertuent avec l’autre main à démonter le piédestal qu’elles avaient contribué à fabriquer jusqu’à peu, avec le concours de la philosophie et de la religion, du moins en occident.
Ainsi, l’amélioration de l’Homme (transhumanisme), ou son dépassement pur et simple (post-humanisme), ne sont pas des fatalités. L’Homme reste un animal politique et libre. Il n’est pas encore mis devant le fait accompli, face à un environnement tellement inadapté à sa condition qu’il lui faille renoncer à son humanité actuelle. Il garde entre ses mains la possibilité de préserver l’humanité plutôt que l’améliorer, pour reprendre le sous-titre éclairant de l’ouvrage.
Le corolaire de sa liberté est la responsabilité, que l’auteur associe notamment à sa capacité à se sentir responsable du sort de tous, humains ou non. Il peut donc faire le choix d’un nouvel humanisme auquel l’auteur appelle de ses vœux, basé sur la “simplicité volontaire”. Soit, en d’autres termes, renouer avec les catégories traditionnelles de la philosophie que sont la prudence, la tolérance et l’humilité.
S’il est certain que la lecture des anciens constitue une ressource précieuse pour faire face aux délirantes injonctions des (post)modernes, nous restons toutefois sur notre fin lorsque l’auteur se risque, en conclusion, à quelques propositions. Nous n’y retrouvons pas en effet le respect des principes énoncés ci-dessus.
Ainsi retient-elle, parmi “la foule de recommencements qui constituent autant d’alternatives à la démesure“, les exemples suivants : #MeToo, la contestation provoquée par l’élection de Trump et par son retrait de l’accord de Paris (COP21), ou encore un “avenir qui pourrait prendre la forme d’une “société-monde” englobant les nations et les communautés sans les abolir“. Nous pouvons ainsi nous réjouir de la “libération de la parole” sans pour autant faire éloge de la méthode. Car l’industrialisation de la vendetta personnelle et du risque diffamatoire nous semble peu en phase avec les vertus de prudence, de tolérance et d’humilité évoquées par l’auteur.
Nous pourrions croire au contraire que le recours à Twitter ou à d’autres accessoires techno-capitalistiques de cette sorte participe davantage à la tragédie du monde qu’à sa préservation. D’autant que l’utilisation de ce pseudo réseau social, sans doute le plus stupide du monde, suppose d’avoir recours à l’industrie la plus polluante de l’histoire de l’humanité – industrie dont le développement exponentiel que nous promet le déploiement de la 5G est par ailleurs en totale contradiction avec les objectifs de la COP21… Cherchez l’erreur!
Et que dire de l’idée d’une “société-monde” et de l’idée reprise à son compte d’une “reconnaissance universelle des droits de la Terre-Mère“, si ce n’est qu’elle nous semble l’expression même de la démesure ? Nous préférons pour notre part penser que tout ce qui est trop grand est voué à l’effondrement, comme en témoigne L. Kohr, et que la “frugalité heureuse” à laquelle aspire l’auteur se conçoit et se vit à l’échelle de la proximité, des territoires qui sont ceux de notre quotidien.
Norrin R.