Baptiste Rappin, Abécédaire de la déconstruction, Ovadia, 2021.

Après de nombreuses semaines d’attente, nous le tenons enfin entre nos mains : l’Abécédaire de la déconstruction ! L’introduction, intitulée “La stratégie générale de la déconstruction“, expression empruntée à J. Derrida, plante d’emblée le décor, avec une première longue citation du même Derrida…
En moins de 7 pages introductives, nous avons déjà tout compris du projet politique “déconstructionniste”, malgré le verbiage et la pensée artificiellement complexe de ses cariatides.
Au surplus, Baptiste Rappin nous gratifie d’un “mode d’emploi” de son Abécédaire, introduit cette fois par une citation de Deleuze et Guattari, qu’il rédige en utilisant les styles, concepts et méthodes des auteurs de la déconstruction : parti pris de l’autoréférentialité, invitation à lire l’ouvrage dans le désordre, rédaction de “concepts connectés” formant le “voisinage réticulaire de la notion étudiée“… Ne manque que le rhizome !
L’auteur est facétieux !
Nous savons depuis peu que Baptiste Rappin a passé une partie de son enfance devant la série TV “Ken le survivant“. Sans doute, le spectacle offert d’un monde post-apocalyptique au sein duquel toutes les atrocités sont rendues possibles du fait de l’effondrement des institutions, l’a-t-il ainsi sensibilisé très tôt au risque d’une disparition programmée de tous les édifices sur lesquels reposent notre civilisation – ce à quoi semble s’employer les “théories” de la déconstruction.
L’auteur est combatif !
Et cet Abécédaire alors, qu’en dire ? De la lettre “A”, comme “Amour“, au “Z”, comme “Zigzag“, l’auteur déconstruit la pensée déconstructiviste en 24 mots ou expressions, rendant ainsi plus intelligible le projet politique de cette dernière – car il y a bien un projet politique derrière le projet philosophique et les attaques contre la métaphysique.
Le lecteur alerte aura justement remarqué qu’il manque deux lettres. Est-ce une erreur ? Un relâchement ? Un manque d’inspiration ? De l’agit-prop contre-révolutionnaire – en choisissant de faire disparaitre les WY plutôt que les XY ? Le mystère reste entier.
Essayons de suivre le mode d’emploi. La chose est difficile. Conditionné par une culture occidentale faite d’ordre et de commencement, je me sens contraint de débuter par la lettre A, puis la B. Mais deux articles suffisent à me libérer du conditionnement asphyxiant que constitue l’alphabet ; véritable technique d’orthopédie mentale. Je passe directement à la lettre M. Au gré de notre lecture aléatoire et nomade, notre univers conceptuel se transforma et s’embellit :
- l’Amitié étant assimilable à la fraternité, donc liée à la famille et à la filiation, elle est problématique car elle produit du Même, et pose des frontières. Il faudrait donc devenir ami avec l’Autre, pour lequel nous n’avons pas de lien, d’appartenance ou de ressemblance…
- grâce au concept foucaldien de Biopouvoir je sais à présent qu’il est vain de remettre en cause les logiques globales de la domination – tel le capitalisme. Je peux ainsi acheter le dernier iphone tout en étant “subversif” en dénonçant les processus de naturalisation et d’assignation d’une identité qui me déplait – et accessoirement, je peux me faire des “amis” en likant les messages de ceux qui pensent comme moi ;
- j’apprends qu’il est dans l’intérêt de l’homme d’être assimilé à la Machine ; à une machine désirante ayant échappé aux figures du Père, de la Loi, ou l’État souverain, et que la figure du cyborg est un idéal d’émancipation permettant notamment d’échapper à toute assignation de genre sexué.
Bref, en seulement trois entrées alphabétiques et thématiques je commence à comprendre les penseurs de la déconstruction et, déjà, à percevoir leur apport essentiel au règne du Marché et à celui du consommateur asexué et désirant, égocentré, sans attache et sans amabilité à l’égard de quiconque.
Imaginez ce qu’on peut apprendre en 24 lettres !