Nous avons en mémoire l’énigmatique formule de Jean Baudrillard : “Le monde n’ayant plus forme, il s’agit désormais de lui donner formule”. A la lecture de l’ouvrage de Baptiste Rappin, nous pouvons reformuler : Le monde n’étant plus institué, il s’agit désormais de l’organiser.
Brève histoire de l’anéantissement du monde par son organisation.
A travers l’étude d’une érudition confondante, l’auteur plonge son regard “à l’intérieur de l’organisation”, pour en déceler ses ressorts et ses mécanismes. Se joue en son sein, non pas une banale évolution administrative, mais la généalogie de la catastrophe qui a déjà eu lieu.
“Les temps contemporains se caractérisent par un double mouvement chiasmatique de devenir-monde des organisations et de devenir-organisation du monde l’expression “ mouvement panorganisationnel” réunit ces deux dimensions sous son étendard ”.
Le mouvement-perpétuel de ce chiasme est symptomatique du caractère polymorphique de cet impérialisme organisateur.
L’insidieuse et sournoise “colonisation de la rationalité occidentale techno-utilitaire occidentale”, se vérifie aussi bien au confins des Amériques qu’au sein de notre propre vie. Nous sommes tous pris dans les “rets de la maille organisationnelle”. L’organisation, cette entité “sans extériorité fondatrice”, ne se définit pas comme une simple dégradation d’une institution décapitée de ses ferments de légitimité.
L’organisation est un lieu de la pure fonctionnalité, de l’embrasement continuel de toute forme de référence. Ontologiquement, allergique au “point fixe”, les organisations “baignent dans le jus autoréférentiel de l’immanence”. “L’ingénierie Organisationnel” va parfaire au cours du XXe siècle sa motricité impériale par l’adjonction de la cybernétique. L’organisation scientifique du travail, initialement vécu sous la forme d’un cercle répétitif, va progressivement se transformer en Ruban de Möbius totalitaire.
“ Non seulement ontologie de l’information, la cybernétique est également une politique du contrôle, dans laquelle l’exercice du pouvoir comme force de pression cède la place à des mécanismes d’asservissement et de régulation.”
Le grand renfermement de l’opéra du moi ( Abel Bonnard ) dans cette prolifération virale des processus managériaux sonne le glas de toute individualité.
Rejoindrons-nous Cioran, sur les cimes du désespoir ?
Henri Rosset