Martin Steffens, Tu seras un homme. La vérité comme promesse, Éditions du Cerf, 2021.

Martin Steffens est philosophe et chrétien. Il est important de le préciser, car la foi chrétienne résolument imperturbable de l’auteur irrigue ce texte. Il n’est pas pour autant nécessaire de partager ses convictions pour trouver intérêt à cet essai qui interroge tout autant la condition de l’homme que celle, en miroir, de la femme.
Pour autant, c’est bien la virilité qui est au cœur de l’exposé. L’auteur y donne une définition singulière ; considérant que « l’enjeu de la virilité n’est pas comme le croyaient les stoïciens de devenir dur. Mais comme invite le Christ d’échanger son cœur de pierre contre un cœur de chair ».
Les attributs prêtés habituellement à la virilité, tel l’usage d’une « force autistique », ne sont qu’un dévoiement de cette qualité que l’auteur conçoit comme une « promesse ».
Soit. Mais avec une telle définition, il est difficile de distinguer ce qui aurait trait à la « condition masculine » et ce qui pourrait être considéré comme une vertu humaine, indépendamment du sexe de la personne. De même que la fonction patriarcale peut être exercée par une femme, que reste-il de virilité comme caractéristique propre à la personne de sexe masculin dès lors que l’engagement et la consistance semblent constituer pour l’auteur les piliers de cette virilité ? N’est-ce pas là des qualités que nous serions heureux d’attendre des représentants des deux sexes ?
C’est ici que le propos prend tout son sens, car derrière cette définition de la virilité, derrière la difficulté des humains de sexe masculin à être homme, l’auteur dresse un bilan plus profond de la manière dont la société moderne compromet l’accès à toute consistance. Ce qui empêche les hommes d’assumer leur virilité (au sens où l’entend l’auteur) est ainsi symptomatique d’un mal plus profond – un mal qui les touche toutefois plus particulièrement, car la société tend à discréditer toujours davantage les attributs prêtés traditionnellement à la masculinité, dans une critique sans nuance d’un système qualifié de patriarcal. La société s’interroge-t-elle sur les nouvelles images de l’homme à laquelle les plus jeunes d’entre eux sont invités à s’identifier ? Et, par ricochet, mesure-t-elle les effets de cette absence de virilité des hommes sur les femmes ?
Sans surprise, la paternité – et la difficulté à y accéder – fournira à l‘auteur la meilleure des illustrations de sa thèse, parce que derrière la condition paternelle se dévoile la nature du mal qui ronge la société, en particulier l’impossibilité de conserver les conditions mêmes de sa perpétuation. La baisse de la natalité dans les sociétés occidentales est particulièrement marquante. Parmi toutes les explications données, il en est une proposée par l’auteur qui est des plus rares : la perte de confiance des hommes en leur faculté d’être père, et la perte de confiance que les femmes peuvent placer dans des compagnons si inconsistants et peu rassurés.
Pour l’auteur, la chose est inéluctable dès lors que la société admet la possibilité de se passer de l’homme-père, en faisant fi de la différence des sexes, ramenant ainsi le rôle maternel et paternel à une fonction indifférenciée. Cette indifférenciation des sexes et des fonctions est le corollaire d’une injonction à être soi-même qui ne voit dans l’héritage et la transmission qu’une forme d’assignation, en elle-même contraignante. Ainsi en est-il donc de ce leg si particulier constitué par notre propre corps, dont nous avons souvent bien du mal à assumer qu’il puisse être autre que ce que nous impose notre volonté.
Sans doute est-ce là une conception étrange de la liberté, où celle-ci semble se noyer dans l’océan du désir et de la puissance. Les relations humaines s’en trouvent bouleversées. Comment être consistant lorsque les rapports humains sont ramenés aux seuls rapports contractuels entre des individus imprégnés de cette idée de la liberté ? Quelle possibilité d’engagement à l’égard d’autrui, lorsque liberté et autonomie ne s’éprouvent jamais autrement que dans l’exercice de la jouissance et de la fête, et leurs limites dans le ressentiment à l’égard de celui qui « profiterait » davantage de la vie que soi ? Haro sur les discriminations !
Mais comment reprocher toutefois aux individus de se complaire dans le festif et l’inconsistant dès lors que chaque chose de l’époque semble l’y inviter ? Comment reprocher aux jeunes hommes de ne rester que des enfants, de refuser l’engagement, de refuser d’être père, d’assumer une certaine conception de la virilité qui puisse montrer sa force ; non pour en abuser, mais pour rassurer l’autre ? Comment vouloir autre chose que la fuite et l’amusement lorsque la loi et la technique consacrent l’accès à la PMA sans homme, lorsque « certain.e.s intellectuel.le.s » et certains médias font de chaque homme un violeur en puissance, lorsque l’extension des droits se vit comme une volonté de puissance et de jouissance, lorsque la notion même d’engagement, comme celle d’honneur, est battue en brèche par l’injonction au plaisir et le défaitisme d’intellectuels toujours prompts à encourager le repli sur soi ?
Norrin R.