Ne boudons pas notre plaisir !
Voilà, c’est fait. Après des mois de teasing, le dernier produit de la marque Christo est arrivé. Inauguré officiellement ce samedi en grande pompe – comme il se doit – par les représentants de l’État, de la ville de Paris, du marché et de la servitude médiatique.
Le voici emballé. Ficelé. Empaqueté. Notre Arc de Triomphe – « Symbole national », comme la presse, et notamment Le Point (24/03/2021), se plaisait à le rappeler en mars dernier, lors du procès des gilets jaunes ayant participé au « saccage » du bel ouvrage.
Symbole national, donc, aujourd’hui recouvert d’une bâche qui ne laisse visible qu’une forme indéfinissable ; comme si chacune des batailles et victoires du passé reproduites ou citées sur les parois du monument avait été gommées par le vainqueur du jour, affichant sa puissance et sa domination, aux yeux de tous.
Il fallait oser transformer ainsi un monument célébrant les victoires d’une nation et de son peuple, en monumental outil de célébration de l’« art des vainqueurs pour les vainqueurs », selon l’expression de Wolfgang Ullrich qu’aime citer à juste titre l’écrivaine et critique d’art, Annie Le Brun.
Cela se fait, comme d’accoutumé, avec la caution des badauds, sidérés par l’énormité d’une monstruosité lisse et aseptisée – à l’image du contexte hygiéniste -, et depuis longtemps acclimaté à l’insignifiance et à la laideur. Nul doute d’ailleurs que les semaines à venir seront riches en selfies. Autant d’images promotionnelles au service du capital, qui circuleront sur les réseaux sociaux, et dont les likes, viendront ainsi enrichir la notoriété, la côte et le compte en banque de la famille de l’artiste, de ses congénères et des sociétés et grands mécènes qui les financent.
Jamais l’art contemporain n’aura donc aussi bien justifié son financement spéculatif, marquant ainsi la victoire du marché sur la Nation, celle de l’argent des uns contre la République de tous.
Mais ne « boudons pas notre plaisir », profitons du spectacle ! Tels sont les mots d’une journaliste du journal Le Point, chargée d’une interview de… Jack Lang ; digne représentant du monde de la culture plus ou moins missionné pour déclarer qu’il s’agit là « d’un geste poétique, pas d’une atteinte au patrimoine », et pour décrédibiliser les médiocres et biens vilains réactionnaires qui critiquaient déjà à son époque chacun des merveilleux projets qu’il a eu l’honneur de soutenir, en figure éclairée et éclairante (lepoint.fr, du 15/09/21).
Mais comment donc, Violaine De Montclos, puisque c’est le nom de cette journaliste, justifie-t-elle cette invitation à un tel plaisir insouciant ? Trois raisons sont invoquées, et même numérotées, comme dans un powerpoint, pour nous convaincre qu’ « on ne voit guère qui pourrait avoir à redire à ce beau spectacle éphémère »:
Petit 1, l’opération qui devait avoir lieu au printemps a été « docilement décalée » en septembre pour préserver la nidation des faucons crécerelles, à la demande d’une association de protection des oiseaux. Le marché est donc écoresponsable…
Petit 2, durant l’installation, les visites du monument étaient maintenues. Le marché est donc compatible avec la continuité du service public…
En plus, « le chantier s’est respectueusement arrêté chaque soir à 18h30, lorsqu’était ravivée la flamme du soldat inconnu ». Merci de cette concession !
Petit 3, c’est « entièrement autofinancé ». Si le coût de l’opération est de 14 millions d’euros, cela ne « coûte pas un centime à l’État », rappelle-t-elle, car c’est de l’argent privé. Le marché est éthique car il respecte l’encadrement de la dette publique. Nous savons tous par ailleurs qu’il n’y a nulle indécence à dépenser des millions de quelque façon que ce soit dès lors que l’argent est privé. Cela, les journalistes sportifs, ne nous l’ont-ils pas enseigné depuis des décennies ?
« Mieux même », nous dit-elle, « toutes les vente des produits dérivés iront (…) dans les caisses du centre des monuments nationaux ». Tiens, des produits dérivés ? Merci de nous rappeler la vraie nature des produits de l’art contemporain, … Quant aux musées nationaux, c’est une juste rétribution pour leur contribution historique au succès et à la fortune des artistes contemporains et de leurs souteneurs – chose qu’il aurait été impossible soit-dit en passant, sans l’utilisation de l’argent public aux fins de commandes et d’acquisitions des plus discutables.
Au fait, il ne vous a pas échappé que Le Point est la propriété de François Pinault ?