Sandra Lucbert, Le ministère des contes publics, Verdier, 2021.

Le ministère des contes publics. Un joli titre pour un ouvrage étonnant. Inclassable. Comme l’était déjà Personne ne sort les fusils ; étrange essai littéraire réalisé à partir des audiences du procès France Telecom qui s’est déroulé en 2019.
L’auteure utilise un procédé proche : partir du réel. Ici, c’est la fermeture d’une maternité. Pour la sécurité de tous parait-il. Mais un décès tout de même. Dommage collatéral ?
Derrière le suicide des salariés de France Telecom, il y avait le profit, le management, la bêtise. Derrière l’accouchement qui tourne mal, la mort d’un enfant, il y a la dette publique.
Les cadres de France Telecom ne voyaient pas le problème. Même incompréhension satisfaite – des hommes politiques, des hauts fonctionnaires, des médias – devant ce nouveau drame.
L’auteure poursuit sa démarche, creuse le sillon. Le style et la malice, acerbe, au service du dévoilement des lieux communs de l’économisme, du langage et des idées convenues des puissants et de ceux qui en reprennent les codes et les logiques, PourFaireLeBourgeois.
Entre LaDettePubliqueC’estMal et les choses-telles-qu’elles-sont, que reste-t-il du politique interroge l’auteure ? A peu près rien.
Convoquant C dans l’air (on ne serait dire mieux), Madame Bovary ou Alice au pays des merveilles, Sandra Lucbert démonte habilement les processus qui permettent de justifier l’injustifiable, l’érosion de tous les services publics utiles aux plus modestes, quand ce n’est pas leur suppression pure et simple, pour des impératifs supérieurs – c’est-à-dire dictés par ceux qui se perçoivent comme tels.
Les hommes politiques ayant laissé les clés de la maison à des “serruriers“, ces derniers ont eu loisir d’y mettre les plus beaux cadenas néo-libéraux. Qu’un inconscient cherche à crocheter la porte, il sera vite repris par la patrouille – celle des techniciens du droit, du marché et des médias.
La fable des abeilles de Mandeville avait au moins le mérite de porter un projet politique, une économie politique, une certaine idée de l’homme. Le conte de LaDettePublicC’estMal aura remplacé l’homme par un automate somnambule, et l’économie ne fait même plus semblant d’être politique. Ainsi va le monde où règne la technique. Dormez les petits.
Reste la littérature. Peut-elle maintenir éveillé ? Nous pourrions le croire à la lecture de cet ouvrage. Croire même à la possibilité d’une littérature engagée, sociale ; de celle qui pourrait rappeler ce qu’était ma gauche avant sa conversion à la règle des 3% du PIB de déficit public, et à l’intersectionnalité des luttes PourFaireLeBourgeois…
Norrin R.