Byung-Chul Han, Thanatocapitalisme. Essais et entretiens, Puf, 2021.

L’ouvrage est constitué d’une quinzaine de petits textes et entretiens publiés entre 2012 et 2017, à l’exception du premier, intitulé « Capitalisme et pulsion de mort », qui est inédit.
Ce dernier constitue à la fois une introduction et le fil rouge d’un livre qui dresse un très bon panorama des thématiques chères à l’auteur : technique, numérique, accélération, transparence, travail, altérité, terrorisme, art…
Les principales thèses de l’auteur peuvent se résumer à ces quelques éléments : toutes les activités humaines sont contaminées par un processus de marchandisation propre à une nouvelle forme de capitalisme qui a substitué à l’autoritarisme la soumission volontaire et à la contrainte l’auto-exploitation de soi. Se faisant, le capitalisme n’offre plus de réelle possibilité de révolte collective à son encontre (Occupy Wall Street, Nuit debout, etc. montrent la limite des mobilisations collectives). Mais le mal est plus profond. Car le capitalisme a besoin pour sa survie de fluidité, de transparence et d’une accélération permanente qui l’amène à éliminer toute négativité, toute aspérité – ce qui conduit à éliminer plus largement l’agressivité à l’encontre de tout objet extérieur.
Positivité et autre « société de confiance » (soit dit en passant très en vogue durant cette mandature), sont alors les lieux communs de cette société de la fatigue au sein de laquelle les pulsions de mort qui sont habituellement redirigées de soi vers l’extérieur, de manière à protéger l’intégrité de la personne, ne trouvent plus à s’exprimer contre des objets externes. Management, publicité et autres techniques de l’homme œuvrent à cette fin. L’agressivité contre soi est donc le symptôme de ce nouvel âge du capital – agressivité qui peut prendre aussi bien la forme du burn out que celle du terrorisme islamiste, comme l’exprime l’auteur dans ces différents essais. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le wokisme ou la cancel culture connaissent aujourd’hui un tel succès chez les jeunes gens le plus souvent blancs et aisés des pays occidentaux. Ces phénomènes semblent traduire une haine de soi qui apparait à bien des égards comme une autre facette de Thanatocapitalisme. Pour autant, ces derniers n’excluent pas la haine et la violence à l’endroit d’autrui. Nous touchons alors du doigt la principale faiblesse des travaux de l’auteur.
Les analyses de Byung-Chul Han décrivent parfaitement une certaine réalité, mais elles peuvent aussi paraitre manichéennes, sans nuance.
Ainsi, l’agressivité contre soi n’est nullement exclusive des plaintes et rancœurs à l’endroit d’une société ou d’une organisation quelconque fréquemment accusée de tous les maux qui nous affectent. La manipulation « managériale » n’exclut pas non plus la violence explicite contre les récalcitrants – les gilets jaunes nous l’auront rappelé si besoin est. Et cela vaut pour nombre des thèses exposées de façon univoque. L’auteur semble décrire et mettre en évidence certaines des grandes transformations de notre époque, mais qu’il présente sans doute trop souvent comme des faits acquis et définitifs.
L’œuvre Byung-Chul Han n’en est pas moins stimulante. Elle est aussi soutenue par un style d’écriture singulier et très plaisant. Cet ouvrage en offre une introduction utile.
Norrin R.
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