Alors que nos états de détresse devraient nous aiguiller vers de précieuses réplétions, nous tournons le dos à la plénitude et nous creusons un néant au fond de nous-mêmes, le divertissement n’étant que du vide ajouté au vide. Partant de là, tout divertissement participe d’une posologie addictive qui fabrique une vie artificielle et nous sépare d’une vie naturelle. La révolte de plus en plus nette contre la mort justifie que les hommes considèrent que la vie doit-être biologiquement dépassée, d’où, certainement, les tendances actuelles qui font l’éloge de la vie augmentée, ne voyons pas que nous diminuons d’autant plus que nous croyons augmenter nos facultés par le biais de technologies. En tant que principe intrinsèque à la vie, la mort, si elle est niée, trahit une négation de la vie même. De surcroît, si nous continuons l’artificialisation du vivant dans et par les machines, l’homme va devenir moins ce qu’il croit être dans la mesure où la proportion de matière va l’emporter sur la proportion d’esprit. C’est du reste tout l’objet du divertissement contemporain : il accentue le lien entre le contournement impulsif de la mort et le progrès technique, la science étant non seulement un moyen de ralentir l’autodestruction de nos cellules, mais aussi le moyen d’inventer des technologies fabuleusement sophistiquées pour nous arranger un monde où tout a vocation à être une source d’agrément. Un tel monde, petit à petit, se métamorphose en immense parc d’attractions, pourvu de failles spatio-temporelles suffocantes à travers lesquelles nous désapprenons à vivre et à mourir. Nous ne sommes plus vraiment des sujets de la vie, mais nous sommes les figurants d’un univers amenuisé, les objets synthétiques et frénétiques d’un divertissement traîtreusement infini qui le rétrécit dans l’infini réel de la nature.
J’ai mis la main à la charrue, Ovadia, coll. Les carrefours de l’être, 2021, p. 630.