« Nous qui voulons toujours raison garder »
PHILIPPE IV Le Bel
L’adoption d’un « passe sanitaire » puis d’un « passe vaccinal » met une nouvelle fois en lumière la question de la mesure des droits et devoirs entre individus et société.
Alors que le XXe siècle avait tenté des réponses radicales à ce problème, le XXIe semblait opter pour une proposition plus équilibrée. Les philosophes s’étaient réconciliés avec la démocratie et les totalitarismes disparaissaient. La crise actuelle est venue apporter ses nouveaux extrémismes.
Si d’aucuns crient au fascisme quant à la situation présente, il paraît tout au contraire que nous faisons face à un humanisme devenu fou.
Les racines de l’immédiat sont moins les lois scélérates du régime de Vichy que la pensée de Filippo Gramatica telle qu’avancée dans son ouvrage « Principes de Défense Sociale ».
Rappelons qu’il s’inscrit dans le courant d’une Défense Sociale Nouvelle qui représente une voie de la criminologie visant à éradiquer le crime de la société.
Là où la Défense Sociale se centrait sur la disparition du crime, son renouveau se tourne vers la disparition du criminel. En ce sens, la Défense Sociale Nouvelle se définit comme un humanisme puisqu’elle cherche à corriger l’individu afin de le réintégrer dans la société.
De nombreux promoteurs, à compter de la seconde moitié du XXe siècle, soutinrent cette cause. En France, son héraut fut Marc Ancel, auquel le système pénal actuel doit beaucoup (notamment grâce à son livre « La Défense Sociale Nouvelle »).
Cependant, là où Marc Ancel représente une tendance équilibrée de la Défense Sociale, Filippo Gramatica est un courant extrémiste. Un retour sur les différents concepts énoncés dans son ouvrage nous semble donc nécessaire à la compréhension de l’époque.
Précisant les fins de sa doctrine, l’auteur nous indique en page 4 : « La “défense de la société”, ramenée à l’individu pris en tant qu’être humain et social ne peut se borner à être une fin en soi comme l’est aujourd’hui la peine. Elle doit bien davantage et plus rationnellement tendre, par la défense de la société, à l’amélioration, à la récupération du sujet et surtout à la prévention des “causes” qui ont rendu l’individu antisocial. »
Il s’agit en somme d’œuvrer à « l’amélioration du sujet », et ce par la « socialisation de l’individu ».
Le problème pour lui est moins la réalisation d’actes contraires à la loi que la présence d’individus antisociaux. Dès lors, la défense sociale doit s’appliquer sur l’antisocial et non sur le délinquant qui n’existe de toute façon plus en ce système.
En effet, cette doctrine étant centrée sur l’individu et non sur l’acte, c’est le caractère périculeux[1] de la personne qui doit être corrigé. L’infraction étant déjà passée, il n’est plus possible de l’éviter et la société, par nature, n’a pas d’intérêt à réparation (contrairement à la victime qui pourra exercer une action en responsabilité civile).
Si bien qu’un individu ayant commis un acte contraire à la loi n’aura pas besoin de se voir appliquer une mesure de défense sociale s’il ne présente pas de risque de récidive alors qu’une personne n’ayant pas violé la norme, mais présentant un caractère antisocial entrera dans son champ.
Nul besoin de rappeler à nos lecteurs que les dispositions du « passe vaccinal » ont vocation à s’exécuter sur des personnes non vaccinées qui n’ont contrevenu à aucune règle. L’accusation portée à leur endroit semble résider dans l’utilisation néfaste de leur droit à ne pas se faire vacciner. Accusation d’abus de droit par abstention en somme. De quoi laisser songeurs…
Pour Gramatica, par son but, la Défense Sociale est amenée à remplacer le système pénal qui doit purement et simplement disparaître. « C’est la raison pour laquelle le système de défense sociale entend :
1° substituer à la “responsabilité” (fondée sur l’infraction) l’antisocialité (fondée sur les données subjectives de l’auteur) ;
2° substituer à l’“infraction” (considérés comme un fait) l’indice d’antisocialité subjective et ses degrés ;
3° substituer à la “peine” proportionnée à l’infraction, des mesures de défense sociale adaptées aux besoins de tout auteur d’infraction. »[2]
Pour arriver à ses fins, la Défense Sociale doit mettre en œuvre des systèmes de rééducation basés sur la science.
« En ce sens, la déclaration d’antisocialité représente un bénéfice, un intérêt et peut-être même, comme nous l’avons dit, un droit pour le sujet : en effet celui-ci peut, justement grâce à cette déclaration d’antisocialité de sa nature, obtenir que sa vie psychique soit adaptée à la vie sociale ».
Ainsi, et, puisque le système se veut intégral, toute personne est susceptible d’en bénéficier. Soit qu’elle soit capable et qu’elle entre en ce cas dans le système ré-éducationnel de la défense sociale, soit qu’elle soit incapable[3] et qu’elle entre alors dans le système médical de la défense sociale.
Ces mesures étant au bénéfice de la personne, elles n’ont pas vocation à être encadrées dans le temps. Si bien que l’action de défense sociale doit s’exercer sur l’individu aussi longtemps que sa périculosité subsiste et cesser aussitôt qu’elle a disparu. Des mesures s’exerçant indéfiniment sont donc parfaitement envisageables quand bien même la dangerosité initiale serait faible et l’individu n’aurait commis aucun acte contraire à la loi.
Ainsi que le précise l’auteur, la défense sociale nécessitera l’abolition des prisons, puisqu’il s’agit d’un système de rééducation dans la vie en société. Celles-ci devront être remplacées par un système de liberté surveillée, d’interdiction de se présenter en certains lieux tant que la périculosité subsiste, de travail contraint, etc.
Pour atteindre une telle société, un contrôle permanent de tous sur tous serait nécessaire c’est pourquoi, en page 281, Filippo Gramatica écrit :
« Rappelons à ce propos que le Professeur Gullielmo Uribe, directeur de l’Institut de médecine légale de Bogota (Colombie), insista à Anvers (Actes et Progrès p. 399) sur la nécessité d’assurer à la femme une condition sociale plus juste, sur les avantages d’une politique eugénique, sur le besoin d’un contrôle plus sévère des armements, des alcools et des stupéfiants, ainsi que sur la nécessité de limiter la “liberté d’information” (ce problème se posant d’ailleurs dans tous les pays) ».
Plus qu’une question de liberté, le problème
du « passe vaccinal » nous
semble donc être celui du choix de société dans laquelle nous souhaitons
exister. Faut-il troquer une relation basée sur la confiance contre celle d’une
suspicion généralisée afin de garantir le caractère parfaitement social de
chaque comportement ? Nous ne le croyons pas !
[1] Dangerosité, au sens du courant positiviste de la criminologie
[2] « Principes de défense sociale », 1964, page 33
[3] Au sens juridique du terme, c’est-à-dire apte à assumer la responsabilité de ses actes (avec tous les bémols que F. Gramatica apporte à ces concepts)
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