Le XIXe siècle s’est attaché à détruire les savoir-faire, le XXe siècle a détruit les savoir-être ensemble et le XXIe siècle s’affaire à la destruction des savoir-penser. En deux cents ans, tout un héritage millénaire de condition humaine, de communautés autonomes et de libre pensé est sur le point de disparaître.
Internet ou le retour à la bougie, Ecosociété, 2020, p. 11.
Les luddites brisaient les machines en entraînant tout un peuple de maltraités et d’affamés avec eux. Aujourd’hui les machines numériques sont accueillies avec indifférence et sans aucune retenue ; aucune tentative de compréhension du monde qu’elles inventent sous nos yeux ne prend forme malgré les millions de chômeurs, les abandonnés, les déplacés, les malades et les morts. Nous les acceptons docilement car la techno-science s’est imposée comme locomotive unique du progrès. Cent cinquante années de propagande, un soutien indéfectible de l’État et la création de la société du confort par les industriels américains aidés par les publicitaires ont eu raison de toutes les contestations, de tous les refus et de toutes les insoumissions.
Internet ou le retour à la bougie, Ecosociété, 2020, p. 17.
La société industrielle a toujours favorisé la production manufacturée d’objets en tout point identiques, fabriqués par des machines e donc privés de l’âme humaine de l’artisan. Son stade actuel, à l’heure de l’Internet, consiste à appliquer la même méthode aux êtres humains.
Internet ou le retour à la bougie, Ecosociété, 2020, p. 44.
J’ai laissé volontairement de côté les logiciels libres et toutes les tartufferies évoquant un horizon libéré par la gratuité et le partage. Il s’agit évidemment d’un leurre et d’une falsification éhonté. Les logiciels libres ne peuvent se passer de toute la machinerie technologique et des infrastructures inféodées aux multinationales de l’Internet. Ils ne modifient en rien les transformations subies par notre société et notre condition humaine ni les destructions qui les accompagnent. Ils sont à mes eux l’équivalent, à une moindre échelle, de la sécurité sociale ou des congés payés pour le système capitaliste : une soumission, à travers un aménagement permettant de rendre la vie des aliénés et des anéantis un peu moins lugubres, à l’ordre de l’Internet et du totalitarisme numérique.
Internet ou le retour à la bougie, Ecosociété, 2020, p. 56-57.
L’espérance de vie est le produit d’une société de statistiques et de nombre. Elle ne dit rien sur notre existence, sur notre degré de sociabilité, sur le travail tel qu’il est devenu. Elle affirme une donnée qui n’a aucun lien, aucune implication avec le sensible, le toucher, dans notre corps et dans notre vie quotidienne. Elle est nombre et à ce titre n’admet aucune contradiction.
Voici la définition que je propose pour remplacer cette espérance de vie à laquelle les experts ont dû ajouter depuis quelques temps “sans incapacité” puis “sans restrictions d’activité” : nous ne vivons pas plus vieux, nous mourons plus lentement.
Internet ou le retour à la bougie, Ecosociété, 2020, p. 90.
Que nous fait l’informatique? Elle vise à optimiser le temps productif et prétend nous simplifier la vie mais, en réalité, elle prend du temps et de l’attention au travail vivant en démultipliant les tâches administratives. Elle nous oblige à saisir des données. Elle produit ensuite des statistiques et des algorithmes pour découper, standardiser et contrôler le travail. C’est du taylorisme assisté par ordinateur. Le savoir-faire est confisqué, le métier devient l’application machinale de protocoles déposés dans des logiciels par des experts. Ce qui n’est pas nommable ou quantifiable disparaît. Il y a de moins en moins de place pour la sensibilité, la singularité, le contact direct, pourtant essentiels à l’enseignement, au soin, à l’agriculture, à l’artisanat…
Internet ou le retour à la bougie, Ecosociété, 2020, p. 110.