Alain Corbin, Histoire du repos, Plon, 2022.
Depuis plus de 40 ans, livres après livres, Alain Corbin dessine une histoire des mentalités et des sensibilités qui nous offre des clés de compréhension originales sur notre époque. Histoire du repos permet de discerner le cheminement par lequel nous apparait à présent une certaine représentation du repos résolument étrangère à l’homme des générations précédentes.
Douze brefs chapitres pour nous conter une Histoire du repos qui s’étend de la Genèse aux années 1960. C’est sans doute le point fort du livre, si nous considérons le repos selon son sens actuel, comme un moment de détente qui caractérise la lecture de cet ouvrage, mais c’est aussi son point faible, car nous avons l’impression de refermer chacun des chapitres sans avoir suffisamment approfondi le sujet. C’est particulièrement le cas pour les deux derniers chapitres, s’étalant de la fin du début du XIXe au milieu du XXe siècle : une vingtaine de pages pour saisir ce que notre rapport actuel au repos doit aux transformations technologiques, économiques et sociales issues de la révolution industrielle ; c’est peu.
Dommage, car cette partie est passionnante. Elle nous rappelle à bien des égards les thèses développées par Roger Ekirch dans l’ouvrage La grande transformation du sommeil. Comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits, déjà chroniqué sur la vie en cube.
Sans doute cette période marque-t-elle une coupure radicale, introduisant une rationalité nouvelle dans l’organisation spatiale et temporelle de nos modes de vie. S’en est terminé des temps de travail « ponctués de micro-interruptions de l’activité », de ce temps de travail décrit par Alain Corbin, qui « alternait avec nombre de pauses, vécues en de multiples occasions : repas, sieste lors des moissons, déplacements, rencontres, stations pour boire chopine » (p. 134). Dorénavant, les transformations du système de production (ateliers mécanisés, usines) vont caler le fonctionnement des hommes sur celui des machines, réduisant les espaces de liberté et faisant naitre de nouvelles formes de fatigue, anéantissant les autres représentations du repos. Ekich décrivait exactement le même phénomène pour le sommeil, autrefois séquencé en deux périodes, et prenant la forme d’un bloc de huit heures ininterrompues sous la pression de l’éclairage artificiel et de « l’organisation sociale du temps liée à la nouvelle discipline du travail ».
Mais qu’elles sont donc ces autres représentations du repos qui nous transportent d’un temps « où le repos était identifié au salut, c’est-à-dire à un état d’éternité heureuse » à cette ère industrielle que l’auteur qualifie de « grand siècle du repos » ? Sabbat, repos éternel, quiétude, retraite, disgrâce, confinement, commodités, repos de la terre, repos dominical et oisiveté, fatigue et repos thérapeutique… telles sont les conceptions du repos qui en structurent la riche histoire. Une histoire qui laisse à nos contemporains le rare privilège de prendre la mesure de leur condition actuelle, pour peu qu’ils s’offrent le temps d’un repos consacré à la lecture de cet ouvrage.
Mais peut-on encore évoquer ce terme de « repos » aujourd’hui ? Ne sommes-nous pas entrés dans l’ère du loisir qui, comme le dit Alain Corbin, a aujourd’hui remplacé le repos, occupant le temps, et envahissant l’espace ? Une sorte d’injonction à être actif, à occuper utilement son temps “libre”, soutenue par une certaine idée du plaisir que le repos ne serait plus à même de satisfaire dans un contexte où chacun semble “manquer de temps”?
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